- PREMIÈRE DÉRIVE.

Ploc, ploc, ploc.
Un bruit sinistre qui retentit dans une ruelle froide à l’écart de tous les regards.
Âgé de seize ans, une longue chevelure noire qui tombe sur ses épaules, un sourire macabre, un regard sombre. Un sourire dangereux, une légère goutte couleur carmin qui glisse de la commissure de son sourire. Une menace qui plane, mais telle une ombre, elle disparaît aussi vite dans la nuit qu’elle est apparue.

Pauvreté.
Froideur.
Danger.

Toutes ses choses, il les connaît.
Toutes ces choses-là, il les déteste. Enfin presque.

Parce qu’aux yeux du monde Ryme, il n’est rien, il ne sera jamais rien, ne mérite rien. Parce qu’il n’est qu’un gosse des quartiers pauvres, parce qu’il n’est qu’un gamin parmis tant d’autres qui finira par crever de faim un jour dans un coin de rue sombre.

Mais lui, il a décidé que non. Il a décidé qu’il ne serait pas un parmi ceux-là, il veut être quelqu’un. Il veut devenir important. Il deviendra important, qu’importe ce qu’il doit faire pour arriver.

Pourtant, d’après ce qu’on dit, il n’est pas important. Pourtant, ses actes se répandent comme une traînée de poudre. Pourtant, ils ne savent pas qui est le fautif. Parce qu’aussi invisible il se camoufle dans les ombres, ne laisse aucune trace. Jusqu’à être bientôt celui qu’on surnomme l’ombre des morts. Parce que s’il est dans votre dos, c’est que votre heure est désormais venue.  Âgé de seulement seize ans.

- DEUXIEME DÉRIVE.

Maintenant quatre ans que ses actes ont commencé.
Maintenant quatre ans qu’il a les mains pleines de sang sans que jamais on ne sache que c’est lui le coupable, que c’est lui l’assassin.

Mais ça ne lui suffit pas.
Il est craint oui, mais on ne sait rien de lui.
Il est encore dans les ombres. Il est inconnu, il n'est pas toujours celui qu'on dit : il n’est rien. Non, ça ne lui convient pas. Il veut qu’on connaissent son visage, il veut qu’on parle de lui, qu’on le regarde, qu’on le craint et l’admire en même temps.

Il cesse de viser ceux pour qui on le paye pour ça. Parce que même si cet argent le fait vivre, il ne lui suffit pas. Il doit viser les bonnes personnes.

Il doit viser les personnes qui sont gênantes, les personnes dont il pourrait prendre sa place.

Vingt ans. âgé de vingt ans.
Il change son identité.
Il n’est plus ce gamin des quartiers pauvres.
Parce qu’il assassine le véritable porteur d’un nom, d’un gamin. De son âge. Comme une ombre, il dissimule ses méfaits, il prend sa place.

Il prend sa place, se rend dans l’école sous son identité à lui. On trouve ça étrange, mais il n’a pas choisi sa cible au hasard, il ne l’a pas prise par hasard. Il lui ressemblait, un peu trop. On le suspecte de ne pas être celui qu’il prétend, mais qu’importe, il se camoufle, véritable caméléon.

Il n’est plus le jeune homme des quartiers pauvres la journée, mais le redevient à la tombée de la nuit, retrouvant ses actes criminels sans la moindre hésitation.

Si les gens savaient.
S’ils savaient qu’il a son petit sourire cruel, s’il a son petit air mauvais. S’ils savaient tout ça, sans doute qu’il se dirait qu’il n’est pas humain. Et il ne l’est pas.

- TROISIEME DÉRIVE.

Quatre ans de plus.
Quatre ans où beaucoup de choses se sont produites.

D’innombrables victimes, d’innombrables identités volées, empruntés, échangés. Jusqu’au moment où il fait un pas, un faux pas.

Deux ans de prison pour ses dernières années, pour vol d’identité. Parce qu’il a volé l’identité d’une personne dont on ne retrouve pas la trace, mais on ne peut prouver qu’il est le coupable, puis, il est intelligent, il ne dit rien. Il ne dira jamais rien. Il ne donnera pas sa véritable identité. Personne ne sait qui il est, d’où il vient, pourquoi il a agi ainsi.

Pourtant, ce n’est pas cet écart qui aurait pu compromettre son avenir qui va lui mettre des bâtons dans les roues. Certainement pas.

Puis il sort de prison.
Et il disparaît.

Disparaissant de la civilisation, disparaissant de l’environnement, personne ne sait ce que cette ombre devient, où est-ce qu’elle va, ce qu’elle compte faire.

- LE SOMMET.

Six ans.
Six ans après son premier crime.

Un nouvel homme est apparu sur l’estrade de la “mairie” délabré du tréfond Est. Une longue chevelure noire, quelques traces rouges, des grands yeux rouges assassin, un sourire macabre.

On ne sait pas d’où il vient. On ne sait pas où il est, ni comment il est arrivé là. Pourtant, il est là.

Aster Otello qu’il s’appelle.
Un homme qui se dit homme d’affaires.
Un homme qui est important.

Un homme qui est imposant.
Un homme menaçant.

On ressent tout ce qu’il est.
On ressent qu’il n’est pas ici par hasard et qu’il ne laissera rien, ni personne s’approcher de lui, que rien n’est personne ne tente de s’interposer dans son ascension.

Aster Otello, conseiller financier du maire de Ryme.
Sous la protection du maire.

Une année s’écoule.
Une année où le renouvellement des élections de maire approche.

Il y a un concurrent.
Mais il n’arrivera jamais.
Il n’arrivera jamais sur l’estrade du discours.

Aster est là, il a le sourire macabre, comme toujours qui se dessine sur les lippes.

Parce que personne n’est prêt à m’affronter…

Parce que personne ne souhaite affronter l’ombre de la mort.